Dispute sur le chantier de l'A69 : ne parlons plus de biodiversité ou de qualité du transport routier. Parlons de croissance...!
Vincent de Blois, le 1 juin 2025
Les "POUR" et les "CONTRE" le chantier de l'A69 se retrouvent de nouveau face à face, suite à la décision en appel du Tribunal Adminstratif de Toulouse.
- Les "POURs" prétendent volontiers que les "CONTRE" sont contre tout progrès, et pour un retour au mode de vie de l'homme des cavernes.
- Les "CONTREs" avancent que ce chantier n'a pas d'utilité réelle, et que ce n'est qu'un gaspillage d'argent public au détriment de la biodiversité
Les deux camps semblent aussi avoir une sociologie différente :
- Les "POURs" sont plutôt des notables, des élus, des chefs d'entreprise, des fonctionnaires, peu exposés à l'insécurité économique, bien intégrés dans la société, et plutôt partisans du développement et de l'emploi.
- Les "CONTREs" sont des fonctionnaires, des chercheurs, des oisifs, parfois des gens qui se sont volontairement mis en marge de l'économie pour défendre le climat et la biodviersité.
Il y a aussi les "INDIFERENTS : ce sont des gens qui estiment avoir "d'autres chats à fouetter", des précaires, des chômeurs, des travailleurs "au noir", des trafiquants, des escrocs...
Ce chantier de l'A69, après celui de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, dessine un nouveau partage des idées, en décalage avec le clivage droite / gauche :
- Les partisans de la croissance traversent les bords politiques. On les trouve plutôt à droite et au centre, mais aussi à gauche dans les vieux partis...qui sont aussi devenus des partis de vieux, depuis que les jeunes les pensent de moins en moins capables d'améliorer leur futur.
citons parmi les personnalités de ces partis E. Macron, F. Hollande, Bayrou, Attal, Moscovicci, B. Retailleau, A. Glucksman(?), E. Philippe, JP Raffarin, N. Sarkozy, G. Darmanin, O. Faure, JL Mélenchon(?), C. Ridel, F. Ruffin(?), M. Tondelier(?) Y. Jadot(?), F. Roussel(?)...
- Les opposants à la croissance sont une force émergeante à gauche, que l'on voit depuis quelques années surgir dans des manifestations de terrain : A69, bassines, Aéroport Notre Dame des Landes. C'est la gauche "jeune", tendance Greta Thunberg, prête à renverser la table de nos standards économiques, malgré les risques que cela comporte. Aucun homme ou femme politique de premier rang n'a eu, jusqu'à présent, le courage de rejoindre cette tendance. Il faut dire que se déclarer "anti-croissants" dans un vieux parti, c'est assurément se priver du soutien financier et médiatique des GE et ETI. Or la croissane c'est celle du PIB, et les grandes Entreprises et les Entreprises de Taille Intermédiaires y contribuent à hauteur de 57%.
- Il y a enfin des gens en colère qui ne cherchent plus les causes économiques de la dégradation sociale, des meurtres de plus en plus nombreux, des enclaves d'économies parallèles que sont devenus certains quartiers. L'économie n'est plus leur principale préocupation, il faut donc les ranger parmi les partisans de l'immobilisme économique ou plutôt de la croissance par d'autres moyens. Protectionnisme en haussant les droits de douane, cessation des échanges sur des critères de religion ou de race, allant de pair avec la persécution des étrangers.
Ici à Blois, une contruction est sur le point de soulever la même polémique de croissance ou d'anti-croissance : il y a ce projet de passerelle s'appuyant sur les piles de l'ancien barrage mobile. Le financement de 17 ou 18 millions est pris en charge par l'Etat(27%), la région(28%), par le département(31%), et par Agglopolys(14%), avec 2 millions de subventions obtenues de l'Union Européenne.
Le Département affirme ceci (source) : "La construction de cet aménagement structurant pour le territoire générera des retombées économiques significatives pour le secteur du BTP local et renforcera durablement l'attractivité touristique du Loir-et-Cher. Son coût, d'un montant total de 17,48 millions d'euros, sera financé par l'Etat, le Département , la Région Centre-Val de Loire et Agglopolys ".
Or cette attractivité touristique est-elle souhaitable ? Ce soutien économique au BTP (= croissance du PIB régional) est-il durable ? Quelle est l'utilité de cette passerelle pour les habitants du Loir et Cher ? En quoi cet équipement est-il "structurant" pour le territoire ? En quoi renforce-t-il durablement l'attractivité du territoire ?
Si on a bien du mal à répondre à ces questions, c'est parce que ce qui motive cette construction n'est pas l'utilité publique(1), mais la croissance du PIB. L'objectif principal est de faire venir des touristes, d'insérer par exemple sur les prospectus de "La Loire à Vélo" (2) des photos de cyclistes traversant la passerelle et admirant la Loire au passage, montrant ainsi que tout est fait pour accueillir les cyclistes. Cette passerelle n'est pour autant pas utile : on peut traverser la Loire quelques centaines de mètres plus loin en empruntant les pistes cyclables toutes neuves) du pont Charles de Gaulle !
C'est donc la CROISSANCE (ici du tourisme), à l'échelon local comme à l'échelon national, qui est devenue la pierre angulaire de l'A69 ou de cette passerelle sur la Loire. Pour retrouver une réflexion politique de qualité en France, il faudrait que le débat décortique ce sujet de la croissance, puisqu'il est devenu central :
- Est-il possible de rechercher à la fois la croissance, et la protection du climat ?
- La croissance peut-elle se passer de la concurrence, et comment ?
- La croissance bénéficie-t-elle à tous les citoyens ? Sous forme de revenus ? d'emplois créés ? en quelle proportion ?
- Quel pourcentage de la population participe à subventionner la croissance ?
- Subventionner chaque année la croissance est-il nécessaire, et si oui pourquoi ?
- Sans croissance, pouvons nous espérer résorber la dette publique, la dette privée ?
- Cesser de subventionner la croissance nous exposerait-il à une crise financière ?
- La décroissance nous exposerait-elle à des périls économiques, et si oui lesquels ? Ne peut-on envisager d'en prendre le risque ?
- La recherche de la croissance nous expose-t-elle à des périls politiques ? (voir extrême droite aux USA)
- Quel pourcentage des emplois dépend de la croissance ou du maintien du PIB ?
- Le maintien du PIB est-il la condition "sine qua non" de l'existence des hôpitaux, des écoles, de la Justice, de l'armée ?
- La baisse des bénéfices dans le secteur privé (par exemple dans le textile) est-elle favorable à la croissance ?
Cette introspection de la croissance qu'il nous faudrait faire, les vieux partis dits "de gouvernement", de gauche comme de droite, en semblent incapables. En attendant d'avoir deux nouveaux partis "croissantistes" et "anti-croissantistes" pour en discuter, le partie croissance de l'électorat se jette dans les bras de Marine Le Pen et du Rassemblement National.
(1) Faut-il croire que l'utilité publique découle nécessairement de la croissance ?
(2) "La Loire à vélo" coûte déjà quelques centaines de millions (340 si ma mémoire est bonne) au contribuable, et il ne vante que la nature sauvage de la Loire, oubliant que pour arriver jusqu'ici, les millions de touristes espérés devront arriver...en avion.