Paul Varry, cycliste écrasé par un SUV. Est-ce seulement une histoire de sécurité routière ?
Fait divers insupportable : alors que Paul Varry circule à vélo sur la piste cyclable du Boulevard Malesherbes, il se fait rouler sur le pied par un SUV Mercedes. L'automobiliste recule d'abord pour se dégager. Mais bientôt, sans doute excédé par les protestations du cycliste, il l'écrase dans un bain de sang.
La haine progresse dans notre pays. De plus en plus souvent elle déborde pour aboutir à ce genre de catastrophe. Les attaques aux personnes sont désormais quotidiennes. Elles s'appuient tantôt sur des motifs idéologiques (Samuel Paty), économiques (guerre des drogues à Marseille), sexuels ou raciaux... le respect de la vie humaine s'éloigne, le lien social se décompose.
Autrefois la diversité des espèces de plantes ou celle des animaux, s'expliquait volontiers par la "génération spontanée", parce qu'on n'y trouvait pas d'autre explication. Darwin a mis fin à cette croyance. Par sa théorie de l'évolution, il a démontré que les espèces ne "surgissaient" pas du jour au lendemain comme par enchantement, mais qu'elles étaient le résultat d'une sélection naturelle longue.
Aujourd'hui les formes de haine sont multiples. Elles doivent nous questionner car elles minent le contrat social. Haine des femmes (incels), haine des LGBT, haine des jeunes, des arabes, des juifs, des noirs, haine des patrons, haine des cyclistes, des fonctionnaires, des automobilistes, haine des supporters de l'autre équipe, haine des profiteurs d'allocations, des politiques, des gauchistes, haine des riches...est-il cohérent d'attribuer l'émergence de toutes ces haines à une sorte de génération spontanée qu'aurait favorisée les réseaux sociaux ?
Les décibels montent à l'Assemblée Nationale. Un "Donald Trump" français (Zemmour ?) ne va pas tarder à émerger de ce large spectre de haine pour en "ratisser" les suffrages. Et si cette "rage généralisée"(1) surgit dans des économies aussi différentes que celle de la France, des USA, de l'Allemagne ou de l'Angleterre, alors c'est que la raison première de cette rage n'est pas à rechercher dans notre organisation sociale trop redistributive, qui favoriserait la décadence...d'autres pistes, communes à tous ces pays, doivent être explorées : la frustration, le mal de vivre, le manque de sens à sa vie, l'hyper-tension au travail, la désocialisation, la disparition progressive du travail humain...toutes choses que la "mission contre la violence routière" du gouvernement en réaction à cet assassinat n'a aucune chance d'éclaircir.
La plupart des meurtriers sont incapables d'expliquer leur passage à l'acte. Mais parfois, la Justice y parvient en mettant à jour un contexte, ou des éléments dans le passé d'un prévenu qui chacun ont pu jouer un rôle. C'est ce genre de travail que tout homme politique digne de ce nom devrait faire aujourd'hui, pour tenter d'enrayer la progression de la haine généralisée(2). Il devrait le faire pour la mémoire de Samuel Paty(2020), pour l'adolescente de 13 ans écrasée dans une pizzéria à Sept Sorts (2017), pour les victimes de Mohamed Merha (2012), et aujourd'hui en 2024 pour la mémoire de Paul Varry.
Car il n'y a plus guère de doute à avoir maintenant : la persistance dans la durée de toutes ces haines, la multiplication des passages à l'acte, montrent qu'après une sorte d'apogée du lien social à la fin des années 1970 (3), nous assistons maintenant à un délitement très grave, qui nous renvoie - en quelques sorte à rebours du temps et du progrès - vers le monde communautaire et dangereux de "Gangs of New-York".
Et qu'on s'abstienne enfin de parler de "déséquilibre mental" quand il se produit un évènement de ce genre : bien évidemment la haine portée à un tel paroxysme est un déséquilibre mental, et cela vaut aussi bien pour l'agresseur des bébés dans leur landeau à Annecy que pour l'assassin de Paul Varry ! Mais ces déséquilibres n'expliquent pas tout : réduire de tels actes à la santé mentale ou au fanatisme d'un individu ne suffit pas pour en comprendre l'origine, lorsqu'ils se produisent dans presque tous les pays occidentaux. Il existe forcément des causes collectives plus profondes, poussant ces gens vers la folie.
Vincent de Blois, le 22 10 2024, modifié le 23
(1) "genralized rage" : terme de Noham Chomsky
(2) "la mission contre la violence sur les routes" devrait être une mission contre la violence tout court
(3) mouvement Hippie "peace and love", concerts géants de woodstock aux USA, de l'île de White en Grande Bretagne